Face à la montée locale et mondiale de l’extrême-droite ainsi que des discours autoritaires, racistes, sexistes, transphobes et anti-immigration, il est urgent de poser une rupture claire avec les structures de domination. Trop souvent, les résistances se limitent à défendre des variantes plus « humaines » du système existant, sans jamais remettre en cause les fondations mêmes de l’oppression : le capitalisme, le colonialisme, le patriarcat et l’État. C’est dans ce contexte que la vision anarchiste de la société apparaît comme une réponse nécessaire, cohérente et puissante en offrant une perspective radicalement différente.
Depuis plusieurs décennies, le capitalisme est présenté comme la seule vision du monde possible dans le discours public. Il est parfois « vert », parfois « rose », parfois « social », parfois autoritaire, mais toujours fondé sur l’exploitation, la propriété privée et la croissance infinie. Le capitalisme s’insinue partout, il se présente comme les lois de la physique ou encore la « nature humaine »
Cette uniformité politique a tué l’espoir d’un monde meilleur. Beaucoup ne croient plus qu’autre chose soit possible, non pas parce qu’ils ne le désirent pas, mais parce que les imaginaires sont bloqués. C’est dans ce vide que s’engouffre l’extrême-droite. Des changements sont nécessaires, mais plutôt que de proposer un monde plus juste, elle propose un retour à un passé fantasmé, un monde ordonné aux valeurs traditionnelles, où chacune « connaît sa place », rassemblant un peuple fort, glorieux et pur. Pour lutter contre cette résurgence réactionnaire, il faut reconstruire un imaginaire de transformation radicale, et c’est ce que propose l’anarchisme.
Face à la haine, diffusons notre vision d’un monde meilleur
L’anarchisme, c’est une critique globale de toutes les formes d’oppression et de domination — capitalisme, patriarcat, racisme, colonialisme, cishétérosexisme, validisme, etc. Il ne cherche pas à remplacer une élite par une autre, un pouvoir par un autre, mais à abolir les hiérarchies imposées, à construire une société fondée sur l’autogestion, la solidarité, l’entraide, la liberté et l’égalité.
Dans un monde où les mécanismes d’oppression s’entrelacent, un mouvement qui ne s’attaque qu’à une seule forme de domination est voué à l’échec. L’extrême-droite prospère en accusant des groupes de population quelle juge inférieure d’être responsable de tous les maux de société. L’anarchisme, lui, propose de tisser des solidarités entre toutes celles et ceux que ce système marginalise et exploite.
Depuis près de cinquante ans, sous le masque de la démocratie, les politiques néolibérales ont systématiquement démantelé les services publics, précarisé les conditions de vie, enrichi les plus riches et détruit les écosystèmes. La croyance en l’« état-providence » est presque disparue. L’État apparaît comme ce qu’il est, une machine de contrôle, de surveillance et de répression au service des puissants. Cette perte de confiance est exploitée par l’extrême-droite, qui détourne la légitime colère populaire vers des boucs émissaires : migrant·es, personnes racisées, pauvres, féministes, LGBTQ+.
Mais cette colère peut aussi être le point de départ d’une reconstruction politique par en bas, d’un mouvement qui refuse l’autorité centralisée et qui remet entre les mains des gens le pouvoir d’organiser leur vie et leur communauté. C’est ce que propose l’anarchisme.
Dans nos sociétés, l’école, les médias, les récits culturels nous répètent inlassablement que « chacun peut réussir s’il travaille dur ». Mais les dés sont pipés. La classe sociale, l’origine, le genre, l’orientation sexuelle, la situation de handicap déterminent largement les trajectoires de vie.
La méritocratie est un mythe qui sert à légitimer l’injustice sociale. Selon cette vision, si les pauvres sont pauvres, c’est qu’iels ne font pas assez d’efforts et si les riches sont riches, c’est grâce à leur dur labeur et leur prise de risque. Cette vision détruit la solidarité, culpabilise les plus vulnérables, et crée un climat où l’humiliation devient la norme. L’extrême droite sait canaliser cette humiliation, ce ressentiment vers les groupes qu’elle méprise. Le regard est alors détourné des vrais responsables : les possédants.
Alors que les crises se multiplient, qu’on ne trouve pas de logement, que boucler nos fins de mois est de plus en plus difficile et qu’on fonce à toute allure vers l’effondrement climatique, on voudrait sentir un peu d’emprise sur la situation. Des solutions existent, on les connaît. Mais ceux et celles qui décident défendent les intérêts de leur classe sociale: plus de pouvoir et toujours plus de profits pour les actionnaires. L’extrême-droite exploite ce sentiment d’impuissance, de trahison qu’ont les gens face à la démocratie représentative pour convaincre de la nécessité de son projet autoritaire.
L’anarchisme est bien vivant
Dans l’imaginaire dominant, capitalisme et démocratie seraient inséparables, voire synonymes. De même, voter tous les quatre ans serait la seule forme légitime de participation politique.
Mais la démocratie réelle ne se limite pas à glisser un bulletin dans une urne. Elle implique une participation active, soutenue et égalitaire, dans toutes les sphères de la vie : travail, logement, éducation, environnement, culture. Le capitalisme, en tant que système fondé sur l’accumulation privée, est fondamentalement antidémocratique : il concentre le pouvoir dans les mains d’une minorité de propriétaires. Et l’État représentatif ne fait qu’administrer cette inégalité, sans jamais la remettre en cause.
L’anarchisme, à l’inverse, revendique la démocratie directe et vivante, basée sur des assemblées, des mandats révocables et des décisions prises par les personnes concernées. Une démocratie qui ne se vend pas aux plus offrants.
Contrairement aux caricatures mises de l’avant pour le délégitimer, l’anarchisme n’est pas une rêverie abstraite ou un passé révolutionnaire figé. Partout dans le monde, des communautés s’organisent selon ses principes : zapatistes au Chiapas, mouvements kurdes au Rojava, occupations de terres en France, squats en Grèce, coopératives autogérées en Argentine, syndicats de base au Chili, cantines populaires, jardins communautaires, réseaux de soins autonomes, collectifs antifascistes. Ces pratiques montrent que l’anarchie, ce n’est pas le chaos, c’est l’ordre sans le pouvoir.
Dans ces espaces, la solidarité remplace la charité. L’organisation remplace la domination. Chacune reprend du contrôle sur ses conditions de vie. Et surtout, dans ces luttes, dans ces victoires locales, naît l’espoir de liberté, naît la croyance dans un monde plus juste.
Un antidote à la montée du fascisme
L’extrême-droite prospère sur le vide: vide de sens, vide d’espoir, vide de participation. Elle se nourrit de la peur, de la division, du désespoir. Pour y répondre, il ne suffit pas de défendre mollement « la démocratie » ou d’opposer une version plus douce du capitalisme.
Il faut construire un mouvement radical, inclusif, horizontal, combatif. Un mouvement qui reconnecte les gens avec leur propre pouvoir. Un mouvement qui refuse les fausses solutions autoritaires et propose des alternatives inspirantes, créatrices, vivantes. Un mouvement anarchiste fort peut déjouer la propagande fasciste en attaquant les causes profondes de notre oppression et des crises qui nous submergent.
Il s’agit de rouvrir le champ des possibles. De réapprendre à s’organiser sans chefs, à prendre soin les unes des autres et à bâtir des mondes où la vie vaut plus que le profit. Face à la haine, répondre par la solidarité. Face à l’autoritarisme, répondre par l’autonomie. Face à la résignation, répondre par la révolte.
Un autre monde est non seulement possible : il est nécessaire. Et il commence là où l’on choisit, collectivement, de désobéir, construire et rêver ensemble.