ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE ANARCHISTE
Perspective révolutionnaire Trans, sur notre participation à une organisation révolutionnaire large
Ce texte a originellement été publié en marge de l’assemblée publique du 26 février 2023 à titre de texte de réflexion dans le processus ayant mené à la fondation de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Ce processus s’est étalé sur près d’un an et demi et a rassemblée plusieurs dizaines de militant-es autour de comités de réflexion et d’assemblées publiques.
Prélude
Ce texte présente une réflexion radicale trans sur la question d’une organisation révolutionnaire large. Nous y présentons notre vision sur comment construire au sein de cette organisation des foyers de puissances suffisants pour contrer (autant que faire se peut) les dynamiques oppressives. Il est rédigé dans l’idée que la direction à prendre des militant-e-s femmes, trans et/ou non-binaires est d’investir en masse et de manière réfléchie cette organisation pour qu’elle se transforme en une organisation féministe et queer. En d’autres mots, nous nous opposons à une approche séparatiste.
Notre perspective étant que la concentration des forces féministes dans une organisation séparée ne ferait que les affaiblir et affaiblir l’organisation large. De plus, le séparatisme féministe et séparatisme lesbien se sont prouvés encore et encore incapables de démonter les dynamiques d’oppression et les logiques de pouvoir. En tant que militant-e-s trans, nous ne voyons pas l’intérêt de donner de notre énergie à construire une organisation séparée simplement pour que nos oppresseurs y soient des femmes cisgenres privilégiées. Nous préférons bâtir un mouvement large où nous pourrons construire des foyers de pouvoir suffisant pour y combattre ceuses qui nous opprimeraient au sein de la lutte.
Ceci ayant étant mise au clair voici le coeur de notre propos:
Distribuer le pouvoir pour combattre l’oppression de l’intérieur
La question des enjeux anti-oppressifs est liée de façon inhérente à la question de la distribution de pouvoir. Si le présent texte se positionne plus particulièrement en ayant en tête la question des oppressions liées au genre, il demeure, à notre sens, pertinent même en adoptant un point de vue issu d’autres pratiques anti-oppressives. En effet, si la longue liste des « istes », nous le fait souvent perdre de vue, nos pratiques anti-oppressives sont motivées, à notre sens, par un malaise fondamental face aux inégalités de pouvoir, qu’il soit formel ou informel. Bien que chaque système d’oppression émerge de son propre contexte, il est parfois intéressant de se pencher sur les tendances de fond qui les lient entre elles. Les inégalités de pouvoir représentent l’une de ces tendances et donc, par souci de pousser nos lignes jusqu’au bout, nos actions politiques devraient avoir pour but de les réduire au minimum. Or, il ne suffit pas de combattre les inégalités de pouvoir qui occurrent dans la société que nous contestons, il importe également de lutter contre celles qui s’immiscent au sein même de nos organisations politiques. Pour ce faire, nous proposons une approche par l’empowerment démocratique, c’est-à-dire la mise en place de structures qui permettent aux individus qui composent nos organisations d’avoir accès à un pouvoir raisonnable sur celles-ci, sur leur direction, leurs moyens d’action, etc. Ces structures devraient se construire en ayant en tête la multiplication des locus de pouvoir et des lieux de prises de décisions dans l’optique d’obtenir une sorte d’équilibre par contrebalancement des pouvoirs.
Ainsi, la conclusion première de cette analyse doit nécessairement être de ne pas cristalliser le pouvoir autour d’individus, même s’iels sont choisi-e-s par la volonté populaire. Il faut cependant prendre garde à éviter le piège de la désorganisation qui, en l’absence de dirigeant-e-s choisi-e-s tend à centraliser le pouvoir de façon informelle autour d’individus. Nos modes de prises de décisions doivent donc éviter le double écueil des chefs et de la désorganisation tout en permettant l’action politique démocratique et efficace.
Cela est possible quand il existe une pluralité d’espace démocratique, d’organisation, de réflexion et de décisions, permettant de distribuer le pouvoir dans divers canaux. Ainsi, nous proposons la constitution de comités politiques autonomes dont le mandat serait d’agir politiquement à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur de l’organisation (notamment un comité féministe et un comité queer). Ces comités pourraient ensuite se réunir en instances séparées des assemblées larges dans le but de coordonner leurs actions et d’échanger de l’information. Ces comités devraient adopter une posture auto-critique capable de questionner les mécanismes de centralisation des pouvoirs et d’exclusion qui opèrent au sein des différents espaces formels et informels qui constituent l’organisation. Ceci ne formant qu’une forme d’espace démocratique parallèle, officielle et structurée. L’idéale serait qu’il en existe une pluralité permettant différent mode d’entrée en relation avec les processus décisionnels de l’organisation. Ces comités politiques devraient être investis en masse par les militant-e-s concerné-e-s et être conçus comme plus grand que des simples comités de dénonciations. Il est vital pour l’organisation, si elle prétend avoir un caractère féministe et queer, de reconnaître à ses groupes une position de leadership sur les enjeux les concernant. L’araignée ne pouvant comprendre les malheurs de la fourmi, c’est à cette dernière de dicter sa libération. Dans cette logique, l’organisation large devrait concevoir ces comités politiques autonomes « identitaires » non pas que comme de simples chiens de garde contre l’abus, mais comme de véritables lieux de réflexion et d’élaboration politique riche de potentiel révolutionnaire.
Finalement, si les pratiques de non-mixité devraient être encouragées au sein de l’organisation afin de favoriser l’apparition d’un positionnement anti-oppressif, l’existence des espaces non-mixtes ne devraient jamais servir à y cantonner les réflexions et débats sur les oppressions spécifiques. Les personnes positionnées dans une perspective de puissance au sein des mécanismes d’oppressions et d’exclusions devrait au contraire avoir à faire face à cette réalité fréquemment et directement.
La non-mixité doit servir à créer de nouveaux espaces réflectifs au mode de fonctionnement différent (par leur composition) non pas comme une limitation aux discussions sur le genre, l’identité et l’oppression.
Reconnaître notre pouvoir
Une réalité du moment historique présent qui nous ouvre des portes est la force des femmes et des minorités de genre au sein des mouvements d’opposition et de la contre-culture. Jamais autant de militant-e-s ont été issus des communautés queers ou femmes et beaucoup des milieux de la gauche révolutionnaire, jadis réputé des repères de gauchiste mascu et de douchebag au drapeau noir, ne compte plus ou presque plus d’homme cis dans leur rang. Nous constituons une masse critique dans nos mouvements et la jeunesse enragé a pleinement embrassé la logique queer et la remise en question radicale du genre. Des assos étudiantes, des rangs des masses, de la scène musicale, artistiques et généralement contre-culturelle, ce sont les femmes, trans et les personnes non-binaires qui émergent de plus en plus dans une position de leader de l’opposition. En d’autres mots, le boys-club ne peut plus tenir sa main gardée sur la gauche et un exode en masse de l’organisation mixte par les opprimées du genre viendrait à tuer celle-ci. Dans ce contexte, nous sommes dans une position de dicter nos termes et forcer nos camarades hommes à céder leur pouvoir ou à se retrouver marginalisés dans nos mouvements.
Conclusion
Nous croyons fermement qu’il nous est possible de bâtir un mouvement large, révolutionnaire, mixte qui soit fondamentalement queer et féministe. Qui, plus que simplement parler la langue du féminisme et du queer, en marche la marche. À condition que nous soyons prêt-e-s à en être les instigatrices et les gardiennes! Nous croyons aussi que si les camarades hommes veulent faire la lutte, ils devront la faire avec nous et ils devront accepter que notre participation est conditionnelle à la cession de leurs pouvoirs.