Le 14 septembre 2025 se tiendra un libre marché anarchiste à la Place Valois dans Hochelaga ! On se réunit à partir de 11h pour donner des fruits et légumes biologiques produits par des paysan.nes solidaires de nos luttes. En plus, on vous a aussi préparé des denrées cannées et transformées que vous pourrez garder pour l’hiver qui s’en vient. Par ces gestes, on veut faire d’une pierre deux coups: se nourrir gratuitement et prouver qu’on peut le faire sans les capitalistes de l’agro-industrie. En le faisant devant le distributeur Métro Inc. avec ses marchandises de merde hors de prix, on espère faire ressortir la nécessité de la confrontation pour se libérer des marchés. 

Si nous reprenons le terme de libre marché pour la joke, c’est aussi pour démontrer ce que pourraient être des alternatives à la production/transformation/distribution de denrées alimentaires dans nos territoires. On réclame la gratuité comme éthique de partage et comme mode d’organisation. On veut reprendre la terre aux machines, aux machistes, aux capitalistes pour la rendre commune. On veut partager les tâches de production et mutualiser la distribution pour que tout le monde puisse se nourrir sainement.   

Depuis des siècles, les anarchistes et les paysan.nes du sud global scandent « Terre et Liberté« . Ce slogan est l’exact opposé de ce que nous vendent les libéraux et leur « libre marché ». On veut remplacer le « faire faire » des exploiteurs par un « faire avec » libérateur. Avec la terre, avec les autres humains et non humains, dans des liens d’interdépendance, et pour un avenir sans domination et sans exploitation. 

Aujourd’hui, au soi-disant Québec, l’agro-industrie est toujours dans un rapport de colonisation. Elle occupe des terres volées pour des productions qui ravagent la terre, mais fait aussi venir des travailleureuses précaires du Sud Global avec des visas ultra-restrictifs qui les mettent à la merci du patronat. Personne n’est libre si on est forcé.es à exploiter ou à l’être pour se nourrir. 

À la place, nous revendiquons une agriculture communaliste, en lien avec les besoins réels des peuples habitant les lieux que l’on cultive, et en proclamant la souveraineté des gardien.ne.s des territoires autochtones quant à leur usage. La bouffe, comme toutes les denrées nécessaires, doit être produite selon les capacités des habitant.es, et elle doit être partagée selon les besoins et les désirs de chacun.e.

Ce marché est un premier geste d’affront envers le libre marché capitaliste. Il naît d’une volonté de nourrir nos capacités d’organisation et de libération collective! Venez manger et jaser avec nous le 14 septembre prochain ! 

Un libre marché anarchiste ? 

Nous voulons donner avec cet événement un exemple d’un libre marché qui s’inscrit dans une conception anarchiste: « de chacun.e selon ses moyens à chacun.e selon ses besoins ». Communiser la bouffe, c’est déjà la rendre gratuite. La gratuité est une arme puissante contre la valeur capitaliste, elle supprime instantanément le chantage de devoir travailler pour vivre, elle libère le potentiel de solidarité et d’entraide. Par nos gestes de gratuité, nous entendons reprendre petit à petit notre autonomie matérielle pour se libérer des contraintes du marché capitaliste. 

Aujourd’hui est une première date, d’autres suivront pour renforcer notre conviction: se libérer du capitalisme colonial passera par créer des communautés autonomes vis-à-vis de l’État et du Marché. Dans ce court texte, nous proposons des pistes et des tactiques: nous incitons à la fois à rejoindre et à créer des cuisines collectives renforçant et nourrissant nos communautés, à voler autant que possible l’agro-industrie en pillant collectivement les grands groupes d’épiceries (Métro, IGA, Maxi, etc.), à s’autoformer sur des techniques de cannage, à reprendre des terres agricoles à l’agro-industrie et à s’autoformer à une agriculture biologique dans des terres communes respectant les vivant.es qui y travaillent et qui y habitent. Tout autant de pistes à alimenter, à enrichir par nos rencontres en compostant les pratiques et les idées héritées du libéralisme mortifère. 

Si nous avons appelé notre événement « libre marché« , c’est pour narguer les libéraux et les capitalistes et démonter leur conception de la liberté. Est-ce qu’un marché peut vraiment être libre? En tant qu’anarchistes, on est un peu perdu.es à essayer de comprendre de quel type de « liberté » on parle dans le soi-disant « libre marché » capitaliste. 

Supposément que le libre marché renvoie à l’idée de l’échange libre et consenti entre des individus qui peuvent vendre leur force de travail ou leurs possessions contre des biens ou des services dont illes ont besoin. Mais on ne voit pas trop comment on peut consentir à un échange avec des personnes qui ont 100 ou 1000 fois plus de ressources que nous. Ni comment on peut consentir à un échange où refuser de participer peut mener à notre mort. Si on ne vend pas notre force de travail, on ne peut ni se nourrir ni se payer des médicaments. 

Le libre marché fonctionne seulement si on imagine une société déconnectée de l’histoire où tout le monde serait sur le même pied d’égalité. Mais le monde dans lequel on vit est le résultat d’une histoire sanglante où une poignée de personnes se sont accaparé les ressources et le travail de générations entières. Pour être vraiment libres, il nous semble qu’il faut commencer par se réapproprier collectivement toutes ces ressources pour que chacun.e puisse contribuer aux efforts et que tout le monde puisse recevoir ce dont illes ont besoin pour vivre une vie bonne. 

Mais alors, on changerait complètement la définition d’un marché libre. Aujourd’hui, on commence en laissant tomber les catégories d’argent et de marchandise. Tout dans notre marché est gratuit, vous êtes libre d’interagir comme vous voulez avec les différentes personnes impliquées. Mais on vous propose aussi d’autres réflexions sur le travail collectif et la réappropriation du désir de faire ensemble autrement. 

Dans le zine, on parlera donc de l’autonomie alimentaire, de nouveaux modes de production, des cuisines collectives et de toutes les frontières qu’on doit défaire pour vraiment être libre et se nourrir!

Mort à l’agro-industrie, vive la gratuité et le nouveau libre marché ! 

Les clôtures du capitalisme et la réappropriation des terres 

Alors que beaucoup de personnes peinent à s’acheter de la nourriture, on se demande bien pourquoi on ne pourrait pas simplement la produire nous-mêmes. Pour faire ça, il nous faudrait au moins accès à la terre, mais on est bien peu à avoir les fonds suffisants pour acheter un terrain. Et on ne peut pas non plus faire pousser des plants de tomates dans le parc à côté de chez nous. Même s’il existe des jardins communautaires, les listes d’attente sont longues et peu de personnes ont les capacités de s’occuper seul.es d’un jardin sans soutien. 

On se bute ici à la plus grande des tragédies modernes : en inventant la propriété privée de la terre, on a volé à des communautés entières l’accès à leur capacité de produire de la nourriture. Revenons un peu en arrière dans l’histoire pour comprendre comment on s’est rendu jusque là. 

Au moyen-âge, la plupart des communautés se partageaient les terres utilisées pour l’agriculture. Le travail était ainsi accompli par tous et toutes, ce qui limitait la surcharge du travail et qui permettait à tout le monde de se nourrir. Les grands terrains permettaient aussi de mieux répartir les cultures et d’avoir des aliments variés. 

Et puis le pouvoir en place (les seigneurs et la noblesse, à ce moment de l’histoire) a littéralement apposé des clôtures pour séparer les terres et identifier clairement des propriétaires. Cette séparation assurait une forme de contrôle sur la population qui commençait à se révolter contre les augmentations des taxes. On a appelé ce phénomène « enclosure », ou enclôturement. 

Beaucoup de paysan.nes ont alors perdu leur terre parce qu’illes n’arrivaient plus à produire assez sans le soutien et la sécurité du travail collectif et des partages des ressources. Les paysan.nes étaient aussi forcé.es à produire des variétés restreintes, ce qui limitait leur autosuffisance. La majorité a donc été forcée d’abandonner leur terre pour aller travailler dans les villes. Les capitalistes ont donc eu accès à une grande quantité de travailleureuses pour les industries naissantes.

Pendant ce temps-là, les États occidentaux ont étendu leur pouvoir à travers le monde pour trouver d’autres ressources premières à exploiter. Avec l’esclavage, la violence extrême et le vol de terre, les entreprises et les États coloniaux ont volé des terres et ont accumulé une grande partie des ressources et de la richesse. Aujourd’hui, une poignée d’entreprises et d’individus possède encore ces terres et profite de l’histoire du colonialisme pour s’enrichir sur la misère de population encore exploitée. 

De nos jours, on observe encore les impacts de cette histoire sanglante. L’État moderne s’est donné le pouvoir, par la loi, d’assigner une utilité et un propriétaire à tous les territoires. Les villes et les États possèdent les parcs pour le loisir, les entreprises peuvent construire ce qu’elles veulent et exploiter les terres en les achetant (souvent à l’État sans le consentement de la population), une poignée d’individus possède des logements qu’ils peuvent habiter ou louer pour le profit. On a ainsi perdu une énorme quantité de libertés : on ne peut plus produire de la nourriture sur un terrain vague, on ne peut plus construire une maison dans un terrain inoccupé et on n’a plus de mot à dire sur les transformations de nos territoires. 

Notre système ne profite qu’aux personnes qui ont hérité du profit des plus grands crimes contre l’humanité. Ces personnes continuent d’accumuler le profit et les terres pendant qu’elles enflent les prix. Pendant ce temps, on peut soit travailler pour elles ou crever. 

Nous avons été dépossédés.es des terres qui nous faisait vivre et ce processus est encore en cours, il n’y a rien qu’à voir le PL97 visant toujours plus l’accaparation des territoires autochtones pour le profit de la foresterie. À ces dépossessions constantes des peuples, nous souhaitons reprendre du terrain dans les deux sens du terme. Reprendre des terres qui ont été volées par l’État et le marché colonial et capitaliste, et prendre le dessus sur les politiques néolibérales en imposant des positions communisatrices. 

Repenser le modèle dominant de l’agriculture

Il s’agit alors de repenser le modèle agricole actuel, de politiser l’alimentation pour atteindre une autonomie paysanne, ou plutôt la reconquérir après la dépossession que l’on a subie. Le modèle agro-industriel dominant surexploite les sols comme les humain.es, remplace les technologies paysannes par une mécanisation galopante et l’usage intensif de pesticides chimiques. Malgré l’utilité et l’augmentation des alternatives dans la production agricole avec les réseaux biologiques et les circuits courts, celles-ci ne pourront pas remplacer le modèle dominant en diffusant leurs bonnes paroles chez les consommateurices qui peuvent se le permettre. On veut mettre sur pied un mouvement politique de masse pour démanteler l’agro-industrie, et installer une relève agricole de milliers de paysan.nes-militant.es. Nous devons retrouver collectivement les savoir-faire paysans, créer des mutuelles et des greniers d’alimentation solidaire localement puis les fédérer pour allier l’enjeu du renouvellement de la paysannerie tout en lui garantissant des conditions de travail et des vies décentes. Ce faisant nous garantirons également une alimentation saine et locale à toustes. 

Aujourd’hui, selon les derniers chiffres de Statistiques Canada: les agriculteurices ne représentent que 1.3% de la population active de la province, seulement 8% d’entre elleux sont certifié.es en production biologique et la part destinée à l’alimentation humaine directe n’est que de 30%. Tous ces chiffres pour indiquer à quel point on est loin d’une souveraineté alimentaire sur la province, et qu’on est largement dépendant de l’agro-industrie mortifère, des importations des États-Unis et des pays du Sud.  

Le secteur de l’agriculture est dominé par la production laitière dans la production dite « animale » et du maïs/grains dans ce qu’on appelle « la production végétale », mais qui elle-même est en grande majorité destinée à l’industrie animale pour fournir l’alimentation nécessaire aux animaux exploités pour leur lait ou tués pour leurs viandes. Comme dans la plupart des pays industriels/post-industriels, la production agricole est en grande majorité destinée à alimenter le bétail malgré que ce soit un non-sens total en termes de dépenses énergétiques et écologiques alors que ces terres pourraient être destinées directement à l’alimentation humaine (céréales, légumineuses, légumes et fruits) ou tout simplement être en prairies, ou laissée vacante pour que la forêt y reprenne forme. 

Derrière ces chiffres, il y a également une armée d’employé.es surexploité.es, dont l’immense majorité viennent des Pays du Sud (Guatemala, Mexique, Jamaïque pour plus de 75%) où l’on perpétue une colonisation et une domination en important des travailleureuses précaires pour faire faire la job que les quebecquois.es se refusent de faire pour le salaire de misère et les conditions de travail extrêmes qu’on trouve dans le secteur. 

Où est la liberté dans le système actuel? On a plutôt confondu la liberté avec le droit. Sous le capitalisme, on nous donne surtout le droit de posséder des terres et le travail des autres pour se faire un profit. Bien qu’on nous dit avoir aussi le droit à la nourriture, c’est tellement incompatible avec le système qu’aucune démocratie n’a jamais réussi à le garantir à ces citoyen.nes. La liberté serait la possibilité pour toustes de travailler des terres communes, de cuisiner ensemble et de manière solidaire, de rendre gratuit l’accès à une nourriture de qualité sans produits chimiques qui dévastent les territoires et les vivant.es qui y habitent.

La bouffe, c’est une activité en soi, un travail qui peut être collectivisé selon les capacités de toustes. On est paresseuxses à travailler pour le capital, mais tout le monde aime faire son jardin et faire à manger pour ses proches quand iels viennent nous visiter. La volonté anarchiste c’est d’élargir tous ces gestes, de les étendre, des communautés locales vers le global, de reprendre les terres et les espaces occupés aujourd’hui de manière capitaliste pour les collectiviser pour les communautés qui y habitent. 

Le capitalisme n’est qu’un grand gaspillage

Toustes celleux qui font du dumpster diving le savent bien, on peut remplir des chars et des chars de bouffe corrects en faisant les poubelles des épiceries en ville le soir. Ça rend nous furieuxses de voir les prix indécents des produits alimentaires alors même que plus de 30% des produits alimentaires seront jetés et gaspillés.

Nous dénonçons la production capitaliste qui est orientée vers le marché et non les besoins. Il s’agit d’une mauvaise gestion tout à fait irrationnelle de la production et de la distribution alimentaire. Plutôt que nourrir la population locale directement, la production est tournée vers l’exportation et la transformation industrielle pour l’alimentation animale, l’alcool, et toutes les dérivées du maïs-grains. 

La souveraineté alimentaire des populations en ville n’est aussi quasi nulle, car la distribution capitaliste est complètement inefficace et insensée. Pour maintenir des profits élevés, il faut détruire des stocks ou limiter leur arrivée sur le marché. La surproduction de denrées, l’énorme gaspillage alimentaire coexistent avec les milliers de personnes qui crèvent la dalle dans la province. Pensez-y quand votre mononcle vous dira que « le capitalisme ce n’est peut-être pas la panacée, mais c’est le meilleur système » alors que nous devons survivre avec un système alimentaire en surproduction, mais aussi en sous-distribution. 

Au Québec, une poignée de capitalistes se partagent la distribution et la centralisation logistique des denrées alimentaires: on parle de Loblax (Maxi, Provigo), Metro Inc. (Metro, super C, Sobeys, IGA), Costco, Walmart. On est dépendant.es de ces fils de patrons pour assurer la distribution des denrées produites sur nos territoires alors qu’on devrait seulement être interdependant.es avec les paysan.nes de notre coin. Ces groupes capitalistes volent notre classe sociale en exploitant les travailleureuses des plateformes logistiques et des magasins, en sous-payant les producteurices, en augmentant les prix et en réduisant les quantités pour faire plus de profits. 

Bref, l’agro-industrie, des mégafermes à la poubelle (en passant parfois par l’assiette), c’est de la merde et on comprend que face à la misère et la connerie organisées par ce système, les gens ont de plus en plus recours au vol à l’étalage. Selon la sûreté, le nombre de vols à l’étalage a augmenté de 41% entre 2022 et 2023. On ne peut qu’inciter le monde qui le peut à voler ces grandes chaines pour se nourrir et nourrir les autres. Mais il faut repenser plus largement ces activités de réappropriation des denrées, pour nourrir la communauté et pas que son foyer. C’est ce que les italien.nes autonomes des années 70 ont appelé « autoréduction ». Au lieu de voir ça comme du vol, on renverse la chose: ce sont les capitalistes, les distributeurs qui nous volent le temps de travail de notre classe sociale, il s’agit de se faire des autoréductions dans les épiceries pour reprendre la valeur que notre classe a créée pour ces patrons. Concrètement, il peut s’agir de pillage collectif lors d’émeutes ou dans le quotidien pour partager ensuite les denrées dans des bouffes collectives ou pour les partager à travers son quartier. En 2025 en France, la confédération paysanne a ainsi retiré plus de 3000 euros de denrées des rayons d’une grande chaine de distribution pour contester le pouvoir sur les prix qu’ils imposent aux agriculteurices. Un modèle à suivre dans la paysannerie militante ici.  

La cuisine collective contre les restaurants 

Outre les supermarchés, l’autre espace préconisé sous le capitalisme pour se procurer la nourriture est le restaurant. Tout comme les supermarchés, la qualité de la nourriture dépend avant tout du statut social des consommateurices. Si on est riche, on peut se payer un repas très chic sans ciller les sourcils. Si on est pauvre, c’est à peine si on y a droit une fois aux six mois. 

Et on va se le dire, dans notre société où on doit chercher constamment l’énergie et le temps pour le plaisir, aller au restaurant peut être libérateur. On pense à la mère de famille qui doit cuisiner pour 6 chaque soir ou encore à la personne qui habite seule et qui n’a pas les ressources pour se faire un bon repas. Combien d’entre nous, trop épuisé.es du travail, se sont retrouvé.es chaque soir avec des ramens ou des repas congelés? Et après, on voit les riches qui peuvent se permettre constamment des repas des restaurants. 

Mais quel est le coût de ses repas? On ne parle pas seulement de celui qui sort de nos poches, mais de l’exploitation (et oui encore…) des travailleureuses dans le milieu de la restauration. La plupart des postes sont sous-payés, précaires et demandant physiquement. Sans dire que ce sont souvent des environnements de travail avec beaucoup de violence psychologique et de masculinisme.

Les restaurants comme les cuisines domestiques peuvent aussi être perçus comme des formes d’enclosure. On a mis des barrières entre les cuisines et leurs accès. On se retrouve un peu forcé de dédoubler le travail pour faire des petites portions de nourriture. Que ce soit dans les restaurants où les menus comportent des vingtaines de plats séparés ou dans nos petites cuisines où chaque petit foyer fait des petites portions chaque soir. Alors qu’on le sait bien, ça coûte moins cher et ça prend moins de temps de cuisiner ensemble pour 10, 20, 100 personnes. Comme les terres communes, on nous a volé la capacité d’accès à ces infrastructures. 

Dans les restaurants, on est donc pris dans des dynamiques oppressantes autour de la cuisine. On crée une séparation entre la personne qui consomme la nourriture et celle qui la produit. Et rarement, on se retrouve autour de la table pour déguster et apprécier la cuisine de l’autre. 

À la maison, on s’épuise à cuisiner seul.e et souvent à manger seul.e. Beaucoup sont pris dans la solitude s’illes n’ont pas la sécurité d’une famille choisie. Par moment, ça devient une montagne de travail qui se transforme en tâche autant déplaisante que notre travail qui nous rapporte de l’argent. 

Si on y pense un peu, le restaurant est un lieu de non-sens tout comme nos cuisines domestiques. Tandis qu’il y a des milliers d’espaces avec des cuisines équipées qui pourraient servir à nourrir la population du quartier, on préfère y vendre des repas sous forme de marchandises pour renflouer des petit.es et grand.es entrepreneur.es. Et si manger des sushis ou un poulet frit ne rimait pas forcément avec payer des gens pour qu’illes nous les fassent à notre place et même qu’illes nous les livrent, mais qu’on l’arrimait avec une préparation collective de nourriture dans le quartier. On retrouve dans les restaurants cette fameuse « liberté » propre aux libéraux de « faire faire » aux autres ce qu’on ne peut ou ne veut pas faire. Pour nous, la cuisine et la préparation de bouffe en général devraient se faire le plus possible avec du monde, en rotation pour ne pas « se délivrer » de cette tâche essentielle, mais pour réduire le temps que ça nous prend tout en profitant des liens sociaux qui peuvent s’épanouir dans une cuisine et autour des repas. 

En bref, qu’on arrête de manger seulement les habituels chilis, des currys, falafels et autres samossas mal assaisonnés dans les bouffes collectives militantes, mais qu’on puisse avoir accès des cuisines équipées, avec du bon matériel. Faire de nos espaces, des bibliothèques en tout genre. Qu’on commence à mettre notre temps et nos capacités ensemble pour fabriquer ces lieux, acheter ou voler de bons couteaux, de gros chaudrons qui ne collent pas au fond, des épices à profusion et des fours à combustion. Faisons de nos cuisines des bibliothèques collectives de saveurs des mondes et de connaissances culinaires pour que toustes aient ce plaisir incroyable de bien manger. 

Décloisonner les frontières

On veut pousser encore plus loin nos idées de travail collectif. On veut pousser la réflexion et les pratiques pour que notre liberté soit capable de briser toutes les frontières que le capitalisme nous a imposées. On a beaucoup parlé du processus des « enclosures », traditionnellement appliqué à la question des terres agricoles. Mais on a essayé de le faire ressortir dans d’autres situations où la communauté a été divisée par des frontières. Comme les emplois de plus en plus segmentés, les produits classés selon la richesse, les cuisines et les repas séparés. Et si on regarde plus loin, même les moments essentiels où l’on prend plaisir à goûter la nourriture sont restreints à la compagnie de notre famille et de nos groupes d’ami.es. 

On entend peut-être rapidement certaines personnes rebuter tous nos arguments selon l’idée que personne ne voudra travailler sans la motivation de la paie. Ou plutôt la motivation d’avoir du pouvoir sur l’autre. Mais nous, on regarde au-delà du travail sous le capitalisme : on porte notre attention sur tous les moments de joie autour de la nourriture. De l’intensité qu’on ressent en cuisinant un repas pour tous ses ami.es qui font ensuite la vaisselle pour nous, des petits bonheurs de préparer une tasse de café pour son coloc le matin, de la complicité ressentie quand on partage sa récolte de fines herbes avec ces voisin.es ou encore les regards et les paroles échangés dans les cuisines communautaires avec des personnes qu’on apprend à connaitre de repas en repas. 

On veut surtout que ces moments prennent plus de place, toute la place. On veut vivre ces moments tous les jours et que leur portée soit de plus en plus grande. On veut que la curiosité nous échappe des contraintes du capital : on veut avoir le pouvoir de prendre des décisions spontanées ou collectives sur notre travail. On veut décider des légumes qu’on fait pousser, des légumes qu’on échange. On veut décider des repas qu’on cuisine avec tous les ingrédients qu’on désire. On veut pouvoir rire, mettre de la musique à fond, prendre autant de temps qu’on veut pour cuisiner. On veut être enrichi par de nouvelles recherches en agriculture pour mieux prendre soin de la terre. On s’en fout des patrons, ils ne savent pas mieux que nous. 

Ainsi, on mise sur le plaisir du prendre soin et de l’extase de la liberté sur la production comme la meilleure des motivations. Et on ne veut plus attendre. On veut des projets d’envergure maintenant : 

  • On veut se réapproprier un espace pour un jardin collectif et une cuisine collective. 
  • On veut que tout le monde puisse s’impliquer et utiliser les lieux pour le faire vivre selon nos capacités. 
  • On veut créer des recettes sans se soucier des sous. 
  • On veut cuisiner des repas et les manger ensemble aux bruits des poèmes, des chansons, des pièces de théâtre. 
  • Et on veut que ces lieux apparaissent partout. 
  • On veut que les restaurants et les épiceries ferment pour de bon
  • Et qu’il ne reste que nous et nos idées folles !