ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE ANARCHISTE
Partir de rien – Une tentative d’organisation en région
Ce texte a originellement été publié en marge de l’assemblée publique du 1er octobre 2023 à titre de texte de réflexion dans le processus ayant mené à la fondation de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Ce processus s’est étalé sur près d’un an et demi et a rassemblée plusieurs dizaines de militant-es autour de comités de réflexion et d’assemblées publiques.
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C’est en regardant de temps à autres les Geais bleu par la force du nombre s’approprier le dehors, tenter tantôt de se percher maladroitement sur l’armoise en graines ou de faire une razzia sur je ne sais trop quelle graminée -qu’en ville on m’aurait obligé de couper- que j’entame l’écriture de ce texte. La lumière de fin d’après-midi s’estompe, le bruant, toujours de bonne compagnie, chante, et je n’ai pas entendu de véhicule tout-terrain depuis presque une heure.
Hier, c’était la troisième édition de l’événement sportif contre le racisme et j’ignore si c’est ça ou l’arrivée soudaine de l’automne mais je me suis retrouvé aujourd’hui avec une motivation sereine: il y a tant à faire, et pourtant, il s’agit tout bonnement d’essayer.
J’habite le Kamouraska, région sise quelque part entre Québec et Rimouski, au milieu des Cabourons. Si l’on avait accès à la carte mentale du Bas-Du-Fleuve militant/alternatif/’’anarchiste-friendly’’des camarades de Montréal, il y a de bonnes chances que ce soit la région des Basques, plus précisément Trois-Pistoles, qui ressorte de manière significative. Les allers et venues entre Montréal et Trois-Pistoles sont très courant. En témoigne par exemple la conversation messenger anarchovoiturage dont le fil est alimenté quotidiennement. Quant à la région du Kamouraska, par contraste, il est probable qu’elle soit associée, voire réduite, au village du même nom. Et perçue au mieux comme un havre pour les touristes et estivants fortunés.
Dès mon arrivée, ressentant l’envie de me lier à d’autres personnes sur des bases politiques, désirant trouver des gens.e.s avec qui j’aurais des affinités, j’ai pris l’initiative de rassembler autour de rencontres à caractère politique des personnes chez qui je soupçonnais des envies similaires.
L’idée était d’abord d’apprendre à se connaître, de réfléchir et de s’éduquer ensemble, et d’éventuellement, qui sait, de s’organiser.
Ça a commencé par un ami qui m’avait suggéré d’organiser un petit exposé sur une expérience de lutte. Je lui ai expliqué que je n’étais pas chaud à l’idée d’en parler publiquement, mais que son désir de discussion sur ces sujets rejoignait le mien, et que j’allais entreprendre une petite tournée d’ami.e.s et ami.e.s d’ami.e.s pour leur proposer.
C’est comme ça que je me suis retrouvé à aller cogner chez des personnes qui m’étaient jusque- là inconnues, mais que j’avais brièvement croisé lors d’une petite action en solidarité avec ce qui se passait dans l’Ouest. J’appris alors qui’illes faisaient partie d’un petit collectif informel et qu’illes étaient les organisateur.ice.s de la manifestation. Il s’avérait toutefois que leur activité avait été quasi-inexistante depuis. Illes reçurent ma proposition avec beaucoup d’ouverture et d’enthousiasme, ce qui fût rafraîchissant pour moi aussi.
Depuis, nous sommes un noyau de six ou sept personnes qui se rencontrons sur une base assez régulière, à toutes les deux semaines.
Il me semble que je sois le seul à s’identifier en tant qu’anarchiste mais tous.te.s ont, dans leurs discours, à différents degrés et articulés à leur manière, des éléments que l’on pourrait qualifier de libertaire au sens large du terme. Cela dit, mon impression est que ces éléments résultent moins d’une proximité avec des milieux anarchistes et d’une compréhension des idées et pratiques elles-mêmes que d’une frustration vis-à-vis ce qui cloche avec le monde dans lequel on vit. Bref, nous partageons pour l’instant une sensibilité marquée envers les valeurs propres à la gauche en général.
J’aurais envie de lister quelques-uns des points qui touchent autant aux acquis – ce qui est déjà présent au sein du groupe – ainsi qu’aux défis ou limitations auxquels nous faisons face.
Je mentionnerai ensuite, ce qui, actuellement, en tant que militant.e.s, pourrait être nos forces et nos faiblesses dans notre contexte. Je finirai avec quelques-uns des besoins potentiels advenant que la rencontre du 1er octobre ou la suivante nous mène à penser un réseau de camaraderie interrégional.
Acquis :
Intérêt notable pour l’environnement. Les membres du groupe sont informé.e.s et critiques au regard de plusieurs enjeux en lien avec l’écologie et ont une volonté très nette de rompre avec le statu quo de ce point de vue.
Féminisme. Plusieurs personnes assignées femmes composent le groupe et leur vécu, leur révolte, par moment est communiquée. Il y a à mon sens clairement un espace pour ça.
Ouverture à des logiques de solidarité avec des groupes autochtones. Ça a été évoqué quelques fois; tous.te.s ne se sentent peut-être pas investi.e.s de la même façon, mais mon sentiment est que l’importance du lien entre la lutte contre les changements climatiques et l’anticolonialisme est compris pour ce qui est des grandes lignes.
Volonté d’agir. Ça revient souvent. Les gens.e.s ont envie d’être dans l’action, de contester ainsi que de construire et de proposer des alternatives, etc.
Limitations :
Comment s’organiser, de quel genre de structures/visées/moyens se doter? Nous avons tous.te.s dans notre groupe des expériences en termes d’organisation qui sont valides, mais il me semble que peu d’entre nous aient de l’expérience du point de vue de mettre sur pied un groupe, et de se donner des directions communes et à portée stratégique. Pour paraphraser un extrait du zine Anarchy in a Small Pond écrit par des camarades de l’ ‘’Ontario’’, le fait est qu’il n’en tient qu’à nous d’organiser des actions car personne ne le fera à notre place. On ne peut pas se fier, comme parfois en ville, sur d’autres pour organiser des évènements. Toutefois, cela requiert des compétences qui passent souvent par une transmission au contact de personnes avec de l’expérience, etc.
Pas vraiment de culture de l’anarchisme. Il me semble que les connaissances quant aux spécificités de l’anarchisme et qui, à mon avis peuvent faire sa force (diversité des tactiques; culture de sécurité, etc.) sont partielles, voire absentes, du moins si je me fie à nos conversations.
Pas vraiment de culture de confiance qui nous permettrait de tisser des liens avec les quelques possibles anarchistes de plus longue date du coin.
Avantages:
Nous sommes sur le territoire; l’extractivisme pourrait être visibilisé et confronté dès le début de la chaîne de production/exploitation.
Moins de surveillance. Contrairement à la ville, les ressources et les infrastructures de ce point de vue sont nettement moindres.
Difficultés:
Possiblement beaucoup de gens.e.s réfractaires à de l’agitation (comme partout, bien sûr). C’est gens.e.s là sont nos voisin.e.s immédiat.e.s et peuvent avoir des intérêts dans ou dépendre de l’exploitation du territoire et de certaines catégories de personnes.
Besoins possibles :
Accès à des ressources qui nous permettraient de nous éduquer, que ce soit via de la documentation (genre zines), des ateliers de partage de savoirs, etc.
Avoir l’opportunité d’interagir avec d’autres groupes, notamment des regroupements plus expérimentés. En faisant partie d’un réseau, les contacts seraient plus évidents, la confiance pourrait se construire et les liens se tisser.
Camps de formation à l’action directe. C’est une pratique courante au travers les courants anarchistes, notamment écologistes – pensons à Earth First !, entre autres – et je pense que ce genre d’événements se prêteraient bien à l’inclusion de personnes curieuses de l’anarchisme sans qu’elles n’aient jamais vraiment eu l’occasion d’être initié.e.s à ses pratiques.
Références
small-pond-reading.pdf (north-shore.info)
Pour la version française, écrire à l’adresse suivante: aumilieudenullepart@riseup.net