Le 14 septembre 2025 se tiendra un libre marché anarchiste à la Place Valois dans Hochelaga ! On se réunit à partir de 11h pour donner des fruits et légumes biologiques produits par des paysan·nes solidaires de nos luttes. En plus, on vous a aussi préparé des denrées cannées et transformées que vous pourrez garder pour l’hiver qui s’en vient. Par ces gestes, on veut faire d’une pierre deux coups : se nourrir gratuitement et prouver qu’on peut le faire sans les capitalistes de l’agro-industrie. En le faisant devant le distributeur Metro Inc. avec ses marchandises de merde hors de prix, on espère faire ressortir la nécessité de la confrontation pour se libérer des marchés.
Si nous reprenons le terme de libre marché pour la joke, c’est aussi pour démontrer ce que pourraient être des alternatives à la production/transformation/distribution de denrées alimentaires dans nos territoires. On réclame la gratuité comme éthique de partage et comme mode d’organisation. On veut reprendre la terre aux machines, aux machistes, aux capitalistes pour la rendre commune. On veut partager les tâches de production et mutualiser la distribution pour que tout le monde puisse se nourrir sainement.
Depuis des siècles, les anarchistes et les paysan.nes du sud global scandent « Terre et Liberté ». Ce slogan est l’exact opposé de ce que nous vendent les libéraux et leur « libre marché ». On veut remplacer le « faire faire » des exploiteurs par un « faire avec » libérateur. Avec la terre, avec les autres humains et non humains, dans des liens d’interdépendance, et pour un avenir sans domination et sans exploitation.
Aujourd’hui, au soi-disant Québec, l’agro-industrie est toujours dans un rapport de colonisation. Elle occupe des terres volées pour des productions qui ravagent la terre, mais fait aussi venir des travailleureuses précaires du Sud Global avec des visas ultra-restrictifs qui les mettent à la merci du patronat. Personne n’est libre si on est forcé.es à exploiter ou à l’être pour se nourrir.
À la place, nous revendiquons une agriculture communaliste, c’est à dire rendre les terres communales et non privatisées, en lien avec les besoins réels des peuples habitant les lieux que l’on cultive, et en proclamant la souveraineté des gardien·ne·s des territoires autochtones quant à leur usage. La bouffe, comme toutes les denrées nécessaires, doit être produite selon les capacités des habitant.es, et elle doit être partagée selon les besoins et les désirs de chacun·e.
Ce marché est un premier geste d’affront envers le libre marché capitaliste. Il naît d’une volonté de nourrir nos capacités d’organisation et de libération collective! Venez manger et jaser avec nous le 14 septembre prochain !
Un libre marché anarchiste ?
Nous voulons créer aujourd’hui un exemple d’un libre marché qui s’inscrit dans une conception anarchiste : « de chacun·e selon ses moyens à chacun.e selon ses besoins ». Communiser la bouffe, c’est d’abord la rendre gratuite. La gratuité est une arme puissante contre la valeur capitaliste, elle nous extrait instantanément du chantage de devoir travailler pour vivre, elle libère le potentiel de solidarité et d’entraide. Les gestes de gratuité que ce soit par le don ou la chourre visent à une autonomie matérielle pour nous libérer des contraintes du marché capitaliste.
Aujourd’hui est une première date, d’autres suivront pour renforcer notre conviction : se libérer du capitalisme colonial passera par créer des communautés autonomes pour remplacer et rendre inutile l’État et le Marché. Dans ce court texte, nous proposons des pistes et des tactiques : nous incitons à la fois à rejoindre et à créer des cuisines collectives renforçant et nourrissant nos communautés, à voler autant que possible l’agro-industrie en pillant collectivement les grands groupes d’épiceries (Métro, IGA, Maxi, etc.), à s’autoformer sur des techniques de cannage, à reprendre des terres agricoles à l’agro-industrie et à s’autoformer à une agriculture biologique dans des terres communes respectant les vivant.es qui y travaillent et qui y habitent. Tout autant de pistes à alimenter, à enrichir par nos rencontres en compostant (si elles ne sont pas trop pleines de plastique et de pétrole!) les pratiques et les idées héritées du libéralisme mortifère.
Si nous avons appelé notre événement « libre marché« , c’est pour narguer les libéraux et les capitalistes et démonter leur conception de la liberté. Est-ce qu’un marché peut vraiment être libre? En tant qu’anarchistes, nous voyons très clairement que la liberté est impossible sous le capitalisme,
Les idéologues de droite tentent de nous faire gober que le libre marché permet l’échange libre et consenti entre des individus qui peuvent vendre leur force de travail ou leurs possessions contre des biens et des services dont illes ont besoin. Mais nous ne pouvons pas consentir à un échange avec des personnes qui ont 100 ou 1000 fois plus de ressources que nous. Ni nous ne pouvons consentir à un échange où refuser de participer peut mener à notre mort. Si nous ne vendons pas notre force de travail, nous ne pouvons ni nous nourrir ni nous payer des médicaments. Nous sommes à la merci du marché, nous abdiquons notre liberté en échange de biens maigres possibilités d’existence.
L’idée du libre marché fonctionne seulement si nous imaginons une société déconnectée de l’histoire où tout le monde partirait sur le même pied d’égalité. Mais le monde dans lequel nous vivons est le résultat d’une histoire sanglante où une poignée de personnes se sont accaparé les ressources et le travail de générations entières, où l’élite occidentale s’est emparée de corps racisés et de terres colonisés pour s’enrichir. Pour être vraiment libre, il nous semble qu’il faut commencer par nous réapproprier collectivement toutes ces ressources pour que chacun·e puisse contribuer aux efforts de subsistance et que tout le monde puisse recevoir ce dont illes ont besoin pour vivre une vie bonne. Et aussi pour que nous ne soyons plus dépendante·s de l’exploitation de travailleureuses racisée·s, ici comme ailleurs, pour nous nourrir.
Nous voulons changer la définition d’un marché libre en organisant des libres marchés. Aujourd’hui, nous commençons en laissant tomber les catégories d’argent et de marchandise.
Dans le texte, nous parlerons donc de l’autonomie alimentaire, de nouveaux modes de production, des cuisines collectives et de toutes les frontières que nous devons défaire pour vraiment être libres et nous nourrir collectivement!
Mort à l’agro-industrie, vive la gratuité et le nouveau libre marché !
Les clôtures du capitalisme et la réappropriation des terres
Alors que beaucoup de personnes peinent à s’acheter de la nourriture, nous nous demandons bien pourquoi nous ne pourrions pas simplement la produire nous-mêmes. Pour faire ça, il nous faudrait au moins accès à la terre, mais nous sommes bien peu à avoir les fonds suffisants pour acheter un terrain. Et nous ne pouvons pas non plus faire pousser des plants de tomates dans le parc à côté de chez nous. Même s’il existe des jardins communautaires, les listes d’attente sont longues et peu de personnes ont les capacités de s’occuper seul·es d’un jardin sans soutien (en particulier si on est débordé·es et/ou incapacité·es).
Nous nous butons ici à la plus grande des tragédies modernes : en inventant la propriété privée de la terre, nous avons volé à des communautés entières l’accès à leur capacité de produire de la nourriture. Revenons un peu en arrière pour comprendre comment nous nous sommes rendu·es jusque là.
Au Moyen-Âge, la plupart des communautés se partageaient les terres utilisées pour l’agriculture (soit dans leur totalité ou en partie selon les saisons). Le travail était alors souvent partagé et mutuel, ce qui limitait la surcharge du travail et permettait à tout le monde de se nourrir. Les grands terrains collectifs permettaient aussi de mieux répartir les cultures et d’avoir des aliments variés. Et puis le pouvoir en place (les seigneurs et la noblesse, à ce moment de l’histoire) a (littéralement et à travers les lois) apposé des clôtures pour séparer les terres et identifier clairement des propriétaires (phénomène appelé enclosure). Cette séparation a permis d’assurer un plus grand contrôle des ressources et des terres par la centralisation des informations sur la propriété. L’État arrivait à récolter les impôts plus facilement, mais il va sans dire que cela a entrainé de multiples révoltes paysannes. Mais, malheureusement pour nous, la répression de l’État par des milices armées a vaincu.
Beaucoup de paysan.nes ont alors perdu leur terre parce qu’illes n’arrivaient plus à produire assez sans le soutien et la sécurité du travail collectif et des partages des ressources. Les paysan·nes étaient aussi forcé.es de produire des variétés restreintes, limitant leur autosuffisance. La majorité a donc été forcée d’abandonner leur terre pour aller travailler dans les villes. Les capitalistes ont ainsi eu accès à une grande quantité de travailleureuses pour les industries naissantes en plus de pouvoir se réapproprier des terres pour des monocultures plus profitables au marché. Du même coup, cela a détruit les écosystèmes sociaux et environnementaux de la campagne.
Peu après, les États occidentaux ont étendu leur pouvoir à travers le monde pour trouver d’autres ressources premières à exploiter. Avec l’esclavage, la violence extrême et l’accaparement des terres, les entreprises, les riches familles bourgeoises et les États coloniaux ont accumulé une grande partie des ressources et de la richesse de la planète. Ce qui nous amène à aujourd’hui où une poignée d’entreprises et d’individus possède encore ces terres et profite toujours du colonialisme pour s’enrichir sur la misère de populations racisées toujours exploitées.
Nous observons toujours les impacts de cette histoire sanglante. L’État moderne s’est doté du pouvoir, par la loi, d’assigner une utilité et un propriétaire à tous les territoires. Les villes et les États possèdent les parcs pour le loisir, les entreprises peuvent construire et exploiter les terres comme elles le veulent en les achetant (souvent à l’État sans le consentement de la population), une poignée d’individus possède des logements qu’ils peuvent habiter ou louer pour le profit. Nous avons ainsi perdu une énorme quantité de libertés : nous ne pouvons plus produire de la nourriture sur un terrain vague, nous ne pouvons plus construire une maison dans un terrain inoccupé et nous n’avons plus de mot à dire sur les transformations de nos territoires. En quelques mots, nous avons perdu toute liberté collective au profit de la liberté de quelques-uns d’exploiter toustes les autres.
Notre système ne profite qu’aux personnes qui ont hérité du profit des plus grands crimes contre l’humanité ou qui arrivent à entrer dans ce système d’exploitation. Ces personnes continuent d’accumuler le profit et les terres pendant qu’elles enflent les prix. Pendant ce temps, nous pouvons soit travailler pour elles, soit crever.
Nous avons été dépossédés·e·s des terres qui nous faisaient vivre et ce processus est encore en cours, il n’y a rien qu’à voir le PL97 visant toujours plus l’accaparation des territoires autochtones pour le profit de la foresterie. À ces dépossessions constantes des peuples et des communautés, nous souhaitons reprendre du terrain dans les deux sens du terme. Reprendre des terres qui ont été volées par l’État et le marché colonial et capitaliste, et prendre le dessus sur les politiques néolibérales en les contre-attaquant avec de nouvelles propositions communales qui prennent en compte les blessures du colonialisme. Les terres n’appartiennent à personne, et nous nous devons d’y habiter dans des communautés qui combattent toutes formes d’oppressions sur la nature et les humaine·s. Nous sommes dans l’obligation de détruire ce que le colonialisme a créé, de mettre en place les conditions pour que les communautés autochtones retrouvent leur souveraineté et que nous puissions créer un projet commun de libération totale. Les terres communes pour toustes!
Repenser le modèle dominant de l’agriculture
Il s’agit alors de révolutionner le modèle agricole actuel, ou plutôt de le reconquérir après la dépossession que l’on a subie. Il s’agit donc de politiser l’alimentation pour atteindre une autonomie paysanne et des terres communales avec une distribution collective des tâches de subsistance.
Le modèle agro-industriel dominant surexploite les sols comme les humain·es, remplace les technologies paysannes par une mécanisation galopante et l’usage intensif de pesticides chimiques. Malgré l’utilité et l’augmentation des alternatives dans la production agricole avec les réseaux biologiques et les circuits courts, celles-ci ne pourront pas remplacer le modèle dominant seulement en diffusant leurs bonnes paroles chez les consommateurices qui peuvent se le permettre.
Nous voulons mettre sur pied un mouvement politique de masse pour démanteler l’agro-industrie, et reprendre collectivement la charge du travail de la terre, pour nous nourrir et prendre soin d’elle. Nous devons retrouver les savoir-faire paysans, créer des mutuelles et des greniers d’alimentation solidaire localement puis les fédérer pour allier l’enjeu du renouvellement de la paysannerie tout en lui garantissant des conditions de travail et des vies décentes. Ce faisant nous garantirons également une alimentation saine et locale à toustes.
Aujourd’hui, selon les derniers chiffres de Statistiques Canada: les agriculteurices ne représentent que 1.3% de la population active de la province, seulement 8% d’entre elleux sont certifié.es en production biologique et la part destinée à l’alimentation humaine directe n’est que de 30%. Tous ces chiffres pour indiquer à quel point nous sommes loin d’une souveraineté alimentaire sur la province, et que nous sommes largement dépendant de l’agro-industrie mortifère, des importations des États-Unis et des pays du Sud.
Le secteur de l’agriculture est dominé par la production laitière dans la production dite « animale » et du maïs/grains dans ce qu’on appelle « la production végétale », mais qui elle-même est en grande majorité destinée à l’industrie animale pour fournir l’alimentation nécessaire aux animaux exploités pour leur lait ou tués pour leurs viandes. Comme dans la plupart des pays industriels/post-industriels, la production agricole est en grande majorité destinée à alimenter le bétail malgré que ce soit un non-sens total en termes de dépenses énergétiques et écologiques et alors que ces terres pourraient être destinées directement à l’alimentation humaine (céréales, légumineuses, légumes et fruits) ou tout simplement être en prairies, ou laissées vacantes pour que la forêt y reprenne forme.
Derrière ces chiffres, il y a également une armée d’employé·es surexploité·es, dont l’immense majorité vient des Pays du Sud (Guatemala, Mexique, Jamaïque pour plus de 75%). Notre système perpétue la colonisation et la suprématie blanche en important des travailleur·euses précaires pour faire faire la job que les quebecois·es se refusent de faire pour le salaire de misère et les conditions de travail extrêmes qu’on trouve dans le secteur. Ces mêmes travailleur·euses, souvent emprisonné·es par des permis de travail fermés, subissent des abus fréquents et sont renvoyé·es dans leur pays à la fin de leur contrat. C’est un système de contrôle total violant le droit au territoire et limitant le mouvement libre et le lien à la terre pour des personnes pouvant être bougées comme des pions sur l’échiquier du marché. Nous revendiquons fermement que quiconque vivant et s’occupant d’un territoire peut y rester. Nous voyons les frontières imposées par des États comme une continuation des enclosures, une continuation de la dépossession et de l’interdiction de communaliser les terres. Les frontières sont une marque profonde de la violence contre les humain·es et la nature.
Où est la liberté dans le système actuel ? Nous avons plutôt confondu la liberté avec un droit d’exploiter. Sous le capitalisme, nous avons surtout la liberté de posséder des terres et le travail des autres pour se faire un profit. Bien qu’on nous dit avoir aussi le droit à la nourriture, c’est tellement incompatible avec le système qu’aucune démocratie n’a jamais réussi à le garantir à ces citoyen·nes. La liberté serait la possibilité pour toustes de travailler des terres communales, de vivre où illes veulent, de cuisiner ensemble de manière solidaire, de rendre gratuit l’accès à une nourriture de qualité sans produits chimiques qui dévastent les territoires et les vivant·es qui y habitent.
Parenthèse sur l’abolition du travail :
Nous concevons le travail selon sa définition bien précise sous le régime capitaliste. Le travail renvoie à la condition du salariat et de l’imposition externe de son contenu. Les personnes ne travaillent pas librement, mais répondent aux ordres des patron·nes pour leur faire de l’argent ou offrir un service.
Nous opposons donc au travail les tâches et les activités. Nous souhaitons former des communautés où les responsabilités collectives (se nourrir, prendre soin des enfants, cuisiner, offrir des soins de santé, etc.) sont partagées sous forme de tâches à accomplir pour le bien vivre de toustes sans besoin d’une rémunération quelconque et en partageant la charge équitablement. Sous cette, nous espérons que nous aurons plus de temps libre pour des activités qui répondent au plaisir et désir de créer pour toustes.
En quelques mots, nous proposons de sortir du travail aliéné par la répartition de tâches pour entrer dans le foisonnement d’activités pour les besoins et les désirs des communautés et des individus qui les composent.
Le capitalisme n’est qu’un grand gaspillage
Toustes celleux qui font du dumpster diving le savent bien, nous pouvons remplir des chars et des chars de bouffe encore correcte en faisant les poubelles des épiceries en ville le soir. Ça nous rend furieuxses de voir les prix indécents des produits alimentaires alors même que plus de 30% des produits alimentaires seront jetés et gaspillés.
Nous dénonçons la production capitaliste qui est orientée vers le marché et non les besoins. Il s’agit d’une gestion irrationnelle de la production et de la distribution alimentaire. Plutôt que de nourrir la population locale directement, la production est tournée vers l’exportation et la transformation industrielle pour l’alimentation animale, l’alcool, et toutes les dérivées du maïs-grains.
La souveraineté alimentaire des populations en ville est quasi nulle, car la distribution capitaliste est complètement inefficace et insensée. Pour maintenir des profits élevés, il faut détruire des stocks ou limiter leur arrivée sur le marché. La surproduction de denrées, l’énorme gaspillage alimentaire coexistent avec les milliers de personnes qui crèvent de faim dans la province et les villes adjacentes. Pensez-y quand votre mononcle vous dira que « le capitalisme ce n’est peut-être pas la panacée, mais c’est le meilleur système » alors que nous devons survivre avec un système alimentaire en surproduction, mais aussi en sous-distribution aux dépens de notre santé collective.
Au Québec, une poignée de capitalistes se partagent la distribution et la centralisation logistique des denrées alimentaires: nous parlons de Loblax (Maxi, Provigo), Metro Inc. (Metro, super C, Sobeys, IGA), Costco, Walmart. Nous sommes dépendant·es de ces fils de patrons pour assurer la distribution des denrées produites sur nos territoires alors que nous devrions seulement être interdependant·es avec les paysan·nes de notre coin. Nous pourrions alors échanger en étant conscienceux·euses du travail accompli et solidaire des limites des groupes et des territoires. Au lieu de cela, ces groupes capitalistes volent notre terre et nos ressources en exploitant les travailleur·euses des plateformes logistiques (amazon et autres trous de cul) et des magasins, en sous-payant les producteurices, en augmentant les prix et en réduisant les quantités pour faire toujours plus de profits.
Bref, l’agro-industrie, des mégafermes à la poubelle (en passant parfois par l’assiette), c’est de la merde et nous revendiquons le droit, face à la misère et la connerie organisées par ce système, au recours au vol à l’étalage. C’est ce que les italien·nes autonomes des années 70 ont appelé « autoréduction ». Au lieu de voir ça comme du vol, nous renversons la chose : ce sont les capitalistes, les distributeurs qui volent le temps de travail de notre classe sociale, il s’agit de se faire des autoréductions dans les épiceries pour reprendre la valeur que notre classe a créée pour ces patrons. Selon la Sûreté du Québec, le nombre de vols à l’étalage a augmenté de 41% entre 2022 et 2023. Nous voulons que ce nombre augmente pour que plus de gens puissent se nourrir sainement et pleinement ! Avec cette nouvelle énergie, nous pourrons faire plus !
Nous aurons alors l’espace de réfléchir plus largement ces activités de réappropriation des denrées, pour nourrir la communauté et pas que son foyer. Concrètement, il peut s’agir de pillage collectif lors d’émeutes ou dans le quotidien pour partager ensuite les denrées dans des bouffes collectives ou pour les partager à travers son quartier. Plus nous sommes solidaires et combatif·ves dans nos actions, plus nous pouvons limiter les conséquences individuelles et augmenter les dégâts au système. Par exemple, en 2025 en France, la confédération paysanne a ainsi retiré plus de 3000 euros de denrées des rayons d’une grande chaine de distribution pour contester le pouvoir sur les prix qu’ils imposent aux agriculteurices. Un modèle à suivre dans la paysannerie militante ici !
La cuisine collective contre les restaurants
Outre les supermarchés, l’autre espace préconisé par le capitalisme pour se procurer la nourriture est le restaurant. Tout comme les supermarchés, la qualité de la nourriture dépend avant tout du statut social des consommateurices. Si vous êtes riches, vous pouvez vous payer un repas très chic sans ciller les sourcils. Si vous êtes pauvres, c’est à peine si vous y avez droit une fois aux six mois.
Nous devons l’avouer, il peut être soulageant d’aller au restaurant, dans cette société effrénée et isolante. Nous pensons à la mère de famille qui doit cuisiner pour 6 chaque soir ou encore à la personne qui habite seule et qui n’a pas les outils pour se faire un bon repas. Combien d’entre nous, trop épuisé·es du travail, se sont retrouvé·es chaque soir avec des ramens ou des repas congelés? Pendant que nous voyons les riches s’empiffrer dans des restos fancy chaque semaine… Toujours en exploitant les travailleur·euses dans le milieu de la restauration. La plupart des postes sont sous-payés, précaires et demandant physiquement. Sans oublier que ce sont souvent des environnements de travail avec beaucoup de violence psychologique et de masculinisme.
Les restaurants comme les cuisines domestiques peuvent aussi être perçus comme des formes d’enclosure. Nous avons mis des barrières entre les cuisines et les gens qui peuvent y accéder. Nous nous retrouvons alors encore forcés de dédoubler le travail pour faire des petites portions de nourriture. Que ce soit dans les restaurants où les menus comportent des vingtaines de plats séparés ou dans nos petites cuisines où chaque petit foyer fait de petites quantités chaque soir. Alors qu’on le sait bien, ça coûte moins cher et ça prend moins de temps de cuisiner ensemble pour 10, 20, 100 personnes. Comme les terres communes, on nous a volé la capacité d’accès à ces infrastructures sociales et matérielles.
Dans les restaurants, nous sommes pris dans des dynamiques oppressantes autour de la cuisine. Nous avons créé une séparation entre la personne qui consomme la nourriture et celle qui la produit. Et rarement, nous nous retrouvons autour de la table pour déguster et apprécier la cuisine de l’autre.
À la maison, nous nous épuisons à cuisiner seul·e et souvent à manger seul·e. Beaucoup sont pris·es dans la solitude s’illes n’ont pas la sécurité d’une famille choisie. Par moment, ça devient une montagne de travail qui se transforme en tâche autant déplaisante que notre travail qui nous rapporte de l’argent.
Si nous y pensons un peu, le restaurant est un lieu de non-sens tout comme nos cuisines domestiques. Tandis qu’il y a des milliers d’espaces avec des cuisines équipées qui pourraient servir à nourrir la population du quartier, nous préférons y vendre des repas sous forme de marchandises pour renflouer de petit·es et grand·es entrepreneur·es. Et si plutôt que de nous faire livrer des sushis, nous choisissons plutôt de préparer un repas collectif dans notre quartier. Nous résistons donc à cette fameuse « liberté » propre aux libéraux de « faire faire » aux autres ce qu’on ne peut ou ne veut pas faire. Pour nous, la cuisine et la préparation de bouffe en général devraient se faire le plus possible avec du monde, en rotation pour ne pas « se délivrer » de cette tâche essentielle, mais pour réduire le temps que ça nous prend tout en profitant des liens sociaux qui peuvent s’épanouir dans une cuisine et autour des repas.
Il est temps de se réapproprier et collectiviser les cuisines et les restaurants afin d’en faire des espaces, des bibliothèques en tout genre. Nous devons commencer à mettre notre temps et nos capacités ensemble pour fabriquer ces lieux, acheter ou voler de bons couteaux, de gros chaudrons qui ne collent pas au fond, des épices à profusion et des fours à combustion. Faisons de nos cuisines des endroits collectifs des saveurs du monde et de connaissances culinaires pour que toustes aient ce plaisir incroyable de bien manger.
Cuisiner, c’est une activité en soi, une tâche qui peut être collectivisée selon les capacités de toustes. C’est bien normal que nous soyons paresseuxse à travailler pour le capital, mais tout le monde aime faire son jardin et faire à manger pour ses proches quand illes viennent nous visiter. La volonté anarchiste c’est d’élargir tous ces gestes, de les étendre, de nos affinités plus proches à des communautés entrelacées à une globalité forte de sa liberté totale.
Décloisonner les frontières
Allons plus loin sur nos idées du partage des tâches collectives. Nous voulons pousser la réflexion et les pratiques pour que notre liberté soit capable de briser toutes les frontières que le capitalisme nous a imposées. Nous avons beaucoup parlé du processus des « enclosures », traditionnellement appliqué à la question des terres agricoles. Mais nous voulons aussi vous inviter à penser et à agir sur toutes les autres situations où la communauté a été divisée par des frontières. Les frontières sont partout : les emplois sont de plus en plus segmentés, les produits sont classés selon la richesse, nos familles et ami·e·s sont de plus en plus isolés par des petites tables et de grands murs.
Nous entendrons certainement des personnes essayer de rebuter nos arguments selon l’idée que personne ne voudra travailler sans la motivation de la paie. Ou plutôt la motivation d’avoir du pouvoir sur l’autre. Mais nous, nous regardons au-delà du travail sous le capitalisme : nous voulons porter notre attention sur tous les moments de joie autour de la nourriture. De l’intensité que nous pouvons ressentir en cuisinant un repas pour tous ses ami.es qui font ensuite la vaisselle pour nous, des petits bonheurs de préparer une tasse de café pour son coloc le matin, de la complicité ressentie quand nous partageons notre récolte de fines herbes avec ces voisin·es ou du plaisir vu dans les regards et les paroles échangées dans les cuisines communautaires avec des personnes que nous apprenons à connaitre de repas en repas.
Nous voulons surtout que ces moments prennent plus de place, toute la place. Nous voulons vivre ces moments tous les jours et que leur portée soit de plus en plus grande. Nous voulons que la curiosité pour les autres nous délivre des contraintes du capital : nous voulons avoir le pouvoir de prendre des décisions spontanées ou collectives sur notre travail. Nous voulons décider des légumes que nous faisons pousser, des légumes que nous échangeons. Nous voulons décider des repas que nous cuisinons avec tous les ingrédients que nous désirons. Nous voulons pouvoir rire, mettre de la musique à fond, prendre autant de temps que nous voulons pour cuisiner. Nous voulons être enrichis par de nouvelles recherches en agriculture pour mieux prendre soin de la terre. Nous voulons découvrir tout ce que la terre à offrir sans le capitalisme.
Ainsi, nous misons sur le plaisir du prendre soin et de l’extase de la liberté sur nos actions comme la meilleure des motivations. Et nous ne voulons plus attendre. Nous voulons des projets d’envergure maintenant :
- Nous réapproprier un espace pour collectiviser les jardins et les cuisines.
- Que toustes puissent s’impliquer et utiliser les lieux pour les faire vivre.
- Créer des recettes sans se soucier des sous.
- Cuisiner des repas et les manger ensemble au bruit des poèmes, des projections, des chansons, des pièces de théâtre.
- Que ces lieux d’imaginaire collectif apparaissent partout.
- Que les restaurants et les épiceries ferment pour de bon.
- Détruire le libre marché et qu’il ne reste plus que nos imaginaires libérés.