ORGANISATION RÉVOLUTIONNAIRE ANARCHISTE
Un groupe anarchiste autonome à Montréal
Ce texte a originellement été publié en marge de l’assemblée publique du 1er octobre 2023 à titre de texte de réflexion dans le processus ayant mené à la fondation de l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Ce processus s’est étalé sur près d’un an et demi et a rassemblée plusieurs dizaines de militant-es autour de comités de réflexion et d’assemblées publiques.
Télécharger le texte mis en page
La création d’une structure révolutionnaire nécessite de se poser la question de son rôle dans le contexte actuel et des besoins qu’elle viendrait remplir. Le risque est de ne produire qu’une coquille vide dont la gestion épuisera un peu plus des camarades déjà surmenés. Il est néanmoins essentiel d’envisager des pistes organisationnelles pour espérer se renforcer. Il semble qu’un nombre croissant de personnes aient identifié la prédominance des formes d’organisation affinitaires comme une limite. Ainsi, lors des rencontres stratégiques, le besoin de créer une structure publique, capable d’accueillir et de former de nouveaux et nouvelles militant.e.s a été soulevé par nombre de camarades.
La question sur laquelle risque d’achopper le débat est celle des formes d’organisation et de l’identité d’une telle structure. Malgré les injonctions à se concentrer sur l’analyse des besoins il me parait impossible de ne pas placer ce problème au cœur de nos questionnements. En effet, le groupe anarchiste autonome est selon moi le meilleur outil pour combiner recrutement, action et implantation. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de passer de long mois à tenter de convaincre des indécis ou celleux qui n’en voient pas la nécessité. La priorité est de renforcer le mouvement, non de persuader celles et ceux qui sont déjà là.
Groupe anarchiste, fédération et réseau
La forme du groupe anarchiste autonome est une structure versatile qui permet d’allier clarté idéologique, visibilité et capacité d’action. Ces trois éléments sont essentiels pour intégrer de nouvelles personnes. Il est en effet nécessaire d’avoir un niveau d’accord politique suffisant entre les membres pour expliquer les bases politiques du groupe autrement que par une liste de course de ce que nous combattons. L’histoire du mouvement anarchiste et des luttes populaires autonomes est suffisamment divers pour inspirer un riche imaginaire révolutionnaire. Cette identité, ces références politiques, loin d’être de simples étiquettes sont des facteurs importants d’engagement et de cohésion, qui nous placent dans la continuité des luttes passées.
Au cours de plusieurs discussions, certains camarades ont évoqué une organisation de type « fédération anarchiste ». Tout d’abord, ce débat n’a pour moi de sens que si des groupes locaux ayant une existence publique décident de se coordonner. Ensuite, les structures de ce genre ont une fâcheuse tendance à se scléroser et à devenir plus encombrantes qu’utiles. Je propose donc dans un premier temps de structurer nos forces et de ne pas mettre la charrue avant les bœufs.
L’autre option évoquée est celle d’un réseau révolutionnaire multiforme, pour ne pas dire informel, ce qui reviendrait ni plus ni moins qu’à une coordination de nos faiblesses actuelles. J’ai peur que de longues et usantes discussions cherchant à faire coexister le plus de tendances possible au sein de cette structure ne finissent par accoucher d’une souris.
Recrutement, action et implantation
Le triptyque primordial au développement d’une organisation révolutionnaire se base selon moi sur les éléments suivants : recrutement, action et implantation. Ces trois fronts se soutiennent et reposent les uns sur les autres. Le recrutement permet d’avoir les forces nécessaires pour mener des actions politiques et pour développer une implantation locale ; les actions politiques et l’implantation locale permettent de recruter et de répandre nos idées, etc. Or il est difficile d’imaginer être efficace sans une ligne politique et une identité suffisamment claire pour être compréhensible par la population. Je pense que la trop grande timidité de beaucoup de camarades à revendiquer ce qu’ils sont politiquement rend difficile la compréhension de nos actions. Prenons l’exemple d’une distribution gratuite de nourriture dans un centre social : quelle différence entre une action de ce type organisée par un groupe communautaire et celle organisée par des camarades ? Une personne n’ayant pas déjà une connaissance fine du milieu révolutionnaire est incapable de faire la différence. Une activité politique efficace, mais non revendiquée est perdue dans la masse des initiatives de toutes sortes et ne contribue que marginalement au développement du mouvement révolutionnaire. Cette façon de faire pose un autre problème.
Au cours des rencontres, notre incapacité à accueillir des personnes venant d’autres milieux que le nôtre (c’est-à-dire blanc et étudiant) a été relevée à plusieurs reprises. À n’en pas douter, ceci est un problème d’importance qui doit être adressé par le mouvement. L’origine de cette situation ne me semble pas difficile à comprendre. Tout d’abord, la composition de classe du mouvement révolutionnaire fait que nous recrutons majoritairement des personnes qui nous ressemblent et donc des étudiant.e.s blanc.he.s. La première chose à faire pour moi n’est pas de chercher à collaborer avec des organisations déjà existantes, mais d’exister comme force de proposition dans les luttes et les quartiers populaires. Cependant, ceci ne suffira pas à rendre nos milieux accueillants pour les prolos et les personnes racisées. En effet, la difficulté à comprendre le fonctionnement de nos mouvements et l’identité politique des participant.e.s est un frein à ce travail. Certains ont l’air de penser qu’en ne revendiquant pas d’étiquettes politiques nous serons plus à même de rassembler largement autour de nous. Je pense à l’inverse qu’il est plus rassurant pour une nouvelle personne de savoir où elle met les pieds et quelles sont les bases politiques qui nous rassemblent. Ceci permet de l’aider à s’instruire, s’impliquer et s’autonomiser. Je pense que cette franchise est bien plus rassurante que des personnes hautement politisées faisant semblant d’être des gens comme les autres.
Identité et pratiques politiques
Cette franchise passe donc par la nécessité d’assumer une identité politique et de cesser de tourner autour du pot quand on nous pose la question. Il est bien évident qu’une étiquette ne suffit pas à définir ce que nous sommes politiquement aussi précisément que nous aimerions, mais ce n’est pas son but. Cependant, par simplicité et comme base d’unité large, le groupe anarchiste autonome me parait suffisamment apte à accueillir une large famille anti-autoritaire.
Enfin, d’un point de vue plus personnel, je ne cesse de rencontrer des gens qui aimeraient qu’une structure anarchiste montréalaise existe, sans pour autant avoir l’énergie de se lancer dans l’aventure.
Les camarades de la librairie l’Insoumise ou de DIRA pourront témoigner que nombre de personnes cherchant à rejoindre le mouvement anarchiste se tournent vers elles et eux, faute d’organisation spécifique. D’autres structures comme la CLAC jouent aussi ce rôle alors que ce n’est pas leur raison d’être. Il y a donc une demande évidente de la part d’un certain nombre de nouvelles personnes de rejoindre un groupe anarchiste. Ces personnes ne se tourneront pas nécessairement vers quelque chose qui ne revendiquerait pas cet héritage révolutionnaire.
Personnellement, je ne comprends pas la nécessité d’organiser des réunions à rallonge sur ce sujet. Je propose donc que ce groupe anarchiste autonome soit créé rapidement avec les personnes intéressées, ne serait-ce que pour éviter de perdre bêtement les énergies qui se présentent spontanément à notre milieu, sans même qu’il soit nécessaire d’effectuer le moindre travail de recrutement.